Mondoculture, le blog des découvertes

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Pourquoi les Bretons mangent-ils du beurre salé?

 

 

 

La Bretagne, contrée située au bout du continent eurasiatique, peut paraître isolée de par sa position géographique. Pourtant cette région, de la taille d’un pays, est l’une des plus connues en France, notamment grâce à sa forte identité.
La réputation de la Bretagne s’explique autant par ses paysages que par sa culture (costumes traditionnels, langue, fest-noz,…), autant par ses clichés (pluie permanentes, alcoolisme, habitants têtus,…) que par sa gastronomie (crêpes, far, fruits de mer, cidre,…). Pour ce qui est de cette gastronomie, justement, un aliment est indispensable à la cuisine bretonne : le beurre ! Ainsi les fruits de mer sont traditionnellement accompagnés du sacro-saint pain-beurre, tandis que le célèbre Kouign-amann (littéralement « Gâteau au beurre ») est composé de près de 1/3 de beurre ! En Bretagne, le beurre est donc sacré, mais attention, pas n’importe quel beurre, car les Bretons sont réputés pour consommer du beurre salé, tandis que (presque) toutes les autres régions françaises optent pour le beurre doux.


 

Comment expliquer ce particularisme gastronomique régional ? Pour mieux le comprendre, il faut se replonger dans l’histoire du beurre, ce produit qui contrairement à une idée reçue n’est pas un produit laitier (car il ne contient pas de calcium), mais une matière grasse, produite grâce au barattage de la crème de lait (c’est-à-dire la séparation de la matière grasse, futur beurre, du petit lait de cette crème). Les premières traces historiques du beurre remontent à 4500 av. J.-C., et sont issues d’une gravure sumérienne, retrouvée près de l’ancienne ville mésopotamienne d'Ur, et qui illustre les différentes étapes de sa fabrication.

 

Par la suite, on retrouve trace du beurre dans de nombreuses civilisations, indiennes et égyptiennes notamment. Mais il ne s’impose pas toujours comme un aliment recherché, ainsi les Grecs et les Romains préfèrent l’utiliser pour graisser les cheveux ou adoucir la peau, considérant sa consommation comme réservée aux peuples barbares. Cette mauvaise réputation du beurre chez les Grecs et les Romains a influencé l’Occident les siècles suivants : jusqu’au Moyen Âge, il est peu consommé, car perçu comme la graisse des pauvres, tandis que l’huile et les graisses animales sont privilégiées.

Malgré tout le beurre se développe, notamment chez les paysans qui en produisent pour utiliser les excédents de lait. Comme à l’Antiquité ils salent ce beurre, car le sel a le double avantage de « boire » le petit lait et d’avoir une action antiseptique, qui améliore la conservation du beurre. À la base le beurre est donc salé partout en France. 

 


Mais, en 1343, une décision politique va bouleverser cet état de fait. Pour pouvoir supporter les dépenses occasionnées par le début de la guerre de 100 ans (rappelons-le indirectement due à un cochon régicide), le roi de France Philippe VI de Valois, remet en place la gabelle du sel, un impôt indirect sur le sel. Cette décision va fortement augmenter le coût de fabrication du beurre salé sur la durée, car la gabelle sur le sel, mesure qui se voulait provisoire, sera perçue jusqu’en 1790. Avant l’instauration cet impôt « salé », une livre permettait la production d’environ 20 kg de beurre salé, après son instauration, la même somme ne permet plus que la production de 870 grammes de ce même beurre, soit 23 fois moins…

Cet impôt sur le sel, instauré à cause de la guerre de cent ans, devait tout d’abord être temporaire, mais la gabelle provisoire durera jusqu’en 1790… Par conséquent, beaucoup de régions se mirent à fabriquer du beurre doux, ou à cause de la mauvaise conservation de celui-ci, préférèrent se mettre à produire du fromage. De son côté, au moment de l’instauration de la gabelle sur le sel, la Bretagne ne fait pas encore partie du royaume de France, car le duché de Bretagne (qui comprend la Bretagne et la majorité de la Loire Atlantique actuelle) est indépendant. Si bien que la gabelle sur le sel ne s’y applique pas.

 

Le duché de Bretagne

 

La Bretagne continue donc à produire du beurre salé grâce à son exemption de gabelle, mais aussi grâce à la profusion de ses centres de production de sel marin (Vannes, Bourgneuf, presqu’île de Rhuys, Saint-Brieuc, Guérande,…). Les Bretons conservent leur beurre salé quand les autres régions privilégient dorénavant le beurre doux, le schisme gastronomique a eu lieu ! À partir du XVe siècle le beurre devient un aliment de plus en plus recherché, notamment dans les classes aisées, la croyance populaire veut qu’il aide à la consommation d’aliments difficiles à digérer (huîtres, légumes,…). Remplaçant progressivement les sauces épicées et aigre-douces du Moyen-Âge, son prix de vente augmente, à la grande joie des producteurs bretons.

 

Mais lorsque Anne de Bretagne se marie au roi de France Charles VIII, en 1491, intégrant pratiquement de fait le duché breton au royaume de France (rattachement officialisé et définitif en 1532), son exemption de gabelle, et donc sa production de beurre salé semblent en danger. Finalement, par l'édit royal du Plessis-Macé, du 21 septembre 1532, François Ier garantit à la province certains privilèges, parmi ceux-ci la Bretagne conserve celui de ne pas être soumis à la gabelle, la production de beurre salé breton survivra donc au rattachement politique à la France. Mieux, en guise de cadeau de mariage, Anne de Bretagne se voit accorder par le Pape, le droit de manger du beurre durant les jours maigres du carême, pour accompagner le poisson notamment. Ce privilège va être transmis par la duchesse à tous les Bretons, ainsi avantagés par rapport à la plupart des Français. Ce privilège va également augmenter un peu plus la consommation de beurre salé en Bretagne, tandis que la contrebande de ce produit vers la France devient une activité de plus en plus lucrative, eu égard à sa différence de prix avec d’autres régions.

 


La Bretagne fait partie des zones franches, exemptées de gabelle, tout comme
la Flandre, région également consommatrice de beurre salé

 

Cette fois le beurre salé est définitivement rentré dans les habitudes culinaires des Bretons, mais il intègre également leur culture, puisque de nombreuses coutumes lui sont consacrées. Ainsi lors des mariages, les invités apportaient des mottes de beurre, pesant jusqu’à 50 kg, placées au centre de la table pendant le mariage, elles étaient vendues, au profit des mariés, à la fin du banquet. Des pardons religieux, consacrés au beurre ont également fleuri dans la région, celui de Spézet (29) a toujours lieu le dimanche suivant la Pentecôte, à cette occasion la statue notre dame du Krann est revêtue d’une cape couleur de beurre frais, à laquelle on offre aussi une immense motte de beurre sculptée. En Bretagne, la foi était quelque chose de très important, le beurre n’échappait donc pas aux croyances, ainsi dans le pays du Méné, le sel était disposé en forme de croix dans le fond de la baratte (l’outil qui permettait le barattage), afin de protéger le beurre contre tout sortilège. Enfin les Bretons sont également réputés pour leur « beurre d’accueil », posé à l’entrée de la maison ou sur la table, afin d’être partagé avec les invités.

 

 

Au XIXe siècle, le beurre va profiter des progrès techniques : en 1856 la pasteurisation permet de mieux conserver le beurre. Le sel perd son intérêt principal de conservateur, mais les Bretons continuent de produire du beurre salé, rentré dans leurs habitudes alimentaires, même si cette avancée permet l’émergence du beurre demi-sel (entre 0 et 3 % de sel) au côté du traditionnel beurre salé (+ de 3 % de sel).

Aujourd’hui, les Français sont les plus gros consommateurs de beurre au monde, ils en consomment plus de 8kg par an et par habitant, pendant que les Espagnols ou les Japonais n’en consomment même pas 1 kg.

 

La Bretagne reste une des plus grandes régions productrices de France : 90 000 tonnes de beurre par an, soit près du quart de la production française.

Le beurre salé breton a également su se décliner pour créer une autre fierté culinaire bretonne : le caramel au beurre salé, officiellement « inventé » en 1977 par un chocolatier de Quiberon, Henri Le Roux, même s’il semble que ce met soit en fait apparu bien avant cette date.

 

 



06/08/2014
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