Le doigt d'honneur
Le doigt d’honneur est aujourd’hui utilisé à tout-va, peut-être l’avez-vous vous-même déjà effectué ? Saviez-vous à ce moment-là que vous effectuiez un des plus anciens gestes insultants du monde ? Un geste qui a une histoire bien à lui, où se mélangent comique, philosophie, guerre et base-ball.
La 1ère trace du « doigt » remonte à une autre époque, celle de la Grèce antique, plus précisément en 423 av. J.-C. À cette date le poète Aristophane l’inclut dans sa comédie « Nuées ». Un de ses personnages, Strepsiade, déclare ainsi que lorsqu’il était enfant, il mesurait le temps qui passe en tapant son phallus plutôt que son majeur, le tout en présentant son majeur Ce 1er doigt d’honneur de l'Histoire a pour vocation de
représenter le sexe masculin dressé, les doigts repliés autour du majeur représentant les testicules, la référence sexuelle est évidente.
Mais si dans l’œuvre d’Aristophane, le doigt d’honneur avait plutôt une connotation comique, son pouvoir insultant va apparaître très rapidement. Ainsi le philosophe grec Diogène de Synope (-413 ; -327), lève son majeur à l’attention de voyageurs lui demandant où ils peuvent trouver l’orateur Démosthène (que Diogène déteste), et leur dit « Voici le grand démagogue ! ». Le doigt d’honneur est devenu une insulte pour celui à qui il est adressé.
Diogène, peint par JL Gérôme (1860)
On retrouve par la suite le doigt d’honneur dans l’empire romain, sous le nom de « digitus impudicus ». Ce « doigt indécent » avait un double sens, dans certains cas il servait à protéger du mauvais œil, même si le plus souvent il conservait le caractère insultant et sexuel hérité du monde grec. Ainsi, Caligula, le sanguinaire empereur romain, aurait exigé un jour que tous ses sénateurs s’agenouillent pour lui baiser le majeur, la connotation sexuelle et humiliante poussée à son paroxysme…
Si les romains et les Grecs ont « inventé » le doigt d’honneur, ils l’ont également transmis à certains peuples qu’ils côtoient, ainsi les germains l’effectuaient parfois avant les batailles.
Toutefois à la fin de l’Antiquité le geste va petit à petit tomber en désuétude, notamment sous l’influence de l’Église qui le banni pour son caractère obscène.
Mais un des événements les plus marquants du Moyen Âge va, selon des sources plus ou moins fiables, remettre au goût du jour le doigt d’honneur : la guerre de cent ans. Entre 1337 et 1453, pendant 116 ans donc, les Anglais et les Français vont n’avoir de cesse de se combattre sur le territoire français. Dans ces combats les Anglais ont un avantage de poids, leur arc long (« longbow »), héritage de leurs anciens ennemis Gallois. Cet énorme arc, d’une hauteur de 2 mètres, permet aux archers anglais de tirer 10 flèches à la minute, pendant que les Français, essentiellement équipés d’arbalètes, n’en tirent
que 3 dans le même laps de temps. Pas besoin d’être mathématicien pour comprendre que le rapport de force entre les 2 armées en est fortement influencé ! Les Français, échaudés par leurs cuisantes défaites, notamment à Crécy, décident de lutter contre cette arme de destruction massive, en coupant systématiquement l’index et le majeur à tout prisonnier anglais. Ainsi privés des deux doigts essentiels au tir à l’arc, les mutilés n’ont plus aucune utilité guerrière !
Si bien que dans plusieurs batailles rangées, sans doute à partir de la bataille d'Azincourt (25 octobre 1415), les Anglais prennent l’habitude d’exhiber fièrement leurs index et leurs majeurs relevés, pour narguer les soldats français, dans une sorte de message signifiant « Venez les chercher ! ». Le doigt d’honneur n’a plus seulement une connotation sexuelle, il sert aussi désormais de signe de défiance.
Depuis le doigt d’honneur anglais s’effectue toujours avec la face de la main et ces deux doigts relevés, tandis que pour des raisons obscures les Français ont seulement conservé le majeur tendu.
A partir du Moyen Âge, le geste s’est progressivement diffusé dans le monde. Son arrivée aux États-Unis est, par exemple, due à la 1ère vague d’immigration italienne. Une des 1ères preuves de son arrivée outre-atlantique est une photographie de l’équipe de base-ball des Boston Beaneters, prise en 1886 et où le joueur Hoss Radbourn pose fièrement le majeur en l’air.
Au fil du temps le doigt d’honneur s’est donc mondialisé, et pas seulement sous les formes « française » et « anglaise », les plus répandues. Ainsi en Amérique latine, le bras d’honneur ou un cercle formé par l’index et le pouce font office de doigt d’honneur, en Afrique il s’agit des 5 doigts relevés face à son interlocuteur, tandis qu’au Moyen-Orient le majeur est replié et les 4 autres doigts dépliés. Enfin, sachez qu’en Afghanistan ou en Iran, il n’est pas de bon ton de faire du stop à l’occidentale, le pouce levé ayant la même signification que le majeur chez nous.
Aujourd’hui le doigt d’honneur a un sens moins lubrique qu’à son origine, il peut dorénavant être un signe de colère, d’excitation, de désaccord, ou de simple provocation. Il est également devenu un véritable phénomène de société, beaucoup plus banal qu’auparavant, et ce malgré les lois qui le punissent, aux États-Unis notamment. Il n’est ainsi pas rare de voir des personnalités l’exhiber, de Reagan à Madonna, en passant par Bush, Brando ou Emmanuelli.
Henri Emmanuelli qui adresse un doigt d'honneur à François Fillon en 2011. Alors qu'en 1976, Nelson Rockefeller, vice-président des États-Unis, lève son majeur en guise réponse à des manifestants contre la guerre au Vietnam.
Le doigt d'honneur a même parfois une importance politique : en septembre 2013, Pee Steinbrück, candidat à la chancellerie allemande face à Merkel, est apparu en une du magazine Süddeutsche Zeitung, sur la photographie il faisait un doigt d’honneur à ses détracteurs. Le geste a été peu apprécié par ses concitoyens puisqu’un sondage a montré que 62 % d’entre eux le désapprouvait. Selon certains politologues ce doigt d’honneur a enterré les derniers espoirs de victoire de Steinbrück.
Drôle d’évolution que celle du doigt d’honneur, créé par une comédie grecque antique, développé par des combats moyenâgeux et finalement rentrer dans notre quotidien, où il va jusqu’à influencer nos votes !
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